Reconnaissance des émotions canines par l’humain
- alexia dan
- 18 mai 2021
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 sept. 2023
Résumé
À travers cette étude, nous cherchons à mesurer les performances de l’humain concernant la perception des émotions canines en relation avec la proximité du contact avec un chien. Vingt-quatre sujets ont participé à notre expérience (12 ayant un chien au sein de leur foyer et 12 n’en ayant pas) qui se composait d’une autoévaluation de son état mental suivi de 12 items contenant tous une photo différente du même chien. Les résultats ont démontré que les propriétaires ont une meilleure perception des émotions de l’espèce canine que le reste de la population. De plus, la population générale détecte mieux les émotions positives que les émotions négatives. Enfin, les émotions négatives (tristesse, peur, colère et dégoût) sont reconnues et différenciées, avec plus de précision, par les propriétaires mettant en avant le rôle de l’expérience.

Introduction
Les animaux détectent finement les émotions humaines (Albuquerque et al., 2016). Mais l’humain, quant à lui, est-il capable de percevoir et de distinguer les émotions d’une autre espèce et ses capacités perceptives de traitement des visages peuvent-elles s’étendre à d’autres êtres vivants ?
En 1872, Darwin met en évidence la présence des émotions chez les animaux. Il découvre les six émotions de base : joie, surprise, peur, colère, tristesse et dégoût et édite : L’expression des émotions chez l’homme et les animaux.
Plus tard, Pascalis et al. (2005) mentionnent qu’à 9 mois, se développe une spécialisation pour les visages humains et une perte de discrimination des visages d’autres espèces. Le traitement des émotions d’autres êtres vivants semble impacté par ce focus, mais à quel point ? Dans quel contexte cela peut-il différer ? La présence quotidienne animale peut-elle faire varier les performances de perception des émotions chez l’Homme ?
Concernant la détection des émotions inter-espèces, Ferreti et Papaleo (2018) affirment que la capacité de reconnaissance des émotions n’est pas propre à l’Homme, du primate au rongeur, ils pourraient être dotées de certaines fonctions sociales supérieures. Par exemple, le chien ressent et exprime des émotions dont l’Homme peut en interpréter le sens. Ces chercheurs mentionnent l’existence d’une compréhension réciproque des émotions. En intégrant de multiples signaux sensoriels, le chien crée une représentation multimodale interne des différentes émotions et discrimine les émotions à valence positive et négative de ses congénères et de l’Homme. Albuquerque et al. (2016) présentent des visages humains ou canins avec différentes valences émotionnelles (joie, colère) accompagnés d’une vocalisation positive ou négative. Lorsque les visages et la vocalisation concordent, le chien regarde significativement plus cet ensemble, tant pour ses congénères que pour l’humain.
L’Homme utilise le visage comme l'un des principaux vecteurs d’informations émotionnelles. Il regarde, par automatisme inconscient, majoritairement la bouche lors d'émotions positives et les yeux lors d'émotions négatives (Correia-Caeiro et al., 2020). La lecture des émotions canines nécessiterait un nouvel apprentissage.
L’expérience est-il un facteur d’influence dans la perception des émotions canines par l’Homme ? Wan et al. (2012) montrent chez l’individu une corrélation entre l’expérience sociale et la perception des émotions humaines avec une sensibilité subjective. Le processus de reconnaissance des émotions intra-espèce pourrait, avec l’expérience, s’étendre au domaine inter-espèce. Aussi, les expressions faciales positives de l’homme sont reconnues plus rapidement que les négatives (Leppänen & Hietanen, 2004). En est-il de même pour le chien ?
Nombreuses questions peuvent découler de ces réflexions, notamment si la reconnaissance des expressions émotionnelles animales par l'Homme varie en fonction de la régularité du contact. Plus précisément, la présence d’un chien dans le foyer augmente-elle la capacité à reconnaître des émotions canines ? Dans l’ensemble, les humains perçoivent-ils mieux les émotions positives que les émotions négatives des chiens ? Enfin, une présence canine dans le foyer augmente-elle significativement la perception des émotions négatives comparée à la population globale ?
Méthode
Sujets
Vingt-quatre participants ont été sélectionnés sur les réseaux sociaux (Instagram, Facebook) et deux groupes, de moyenne d’âge similaire (27 ans), ont été formés. L’un comprenant 5 hommes et 7 femmes propriétaires d’un chien et l’autre 2 hommes et 10 femmes, sans chien.
Matériel
Une fiche de consentement et un questionnaire en ligne sur Eval and Go ont été construits. Ce questionnaire comprend un recueil de données (âge, sexe), une autoévaluation de l’état mental de type échelle de Likert et un questionnaire de 12 items. L’autoévaluation vise à neutraliser les biais pour éviter notamment un effet de transfert lié à un état mental perturbé qui influencerait les réponses. Aussi, cette étape a permis une pré-sélection des sujets et nous n’avons pas eu à exclure de participants.
Ensuite, nous présentons 12 photos différentes d’un malinois et demandons de cocher la case de l’émotion perçue chez le chien parmi six propositions : joie, surprise, tristesse, colère, peur et dégoût. Dans l’analyse de nos résultats, nous avons recodé les 6 émotions en deux catégories : émotions positives (joie et surprise) et émotions négatives (tristesse, peur, dégoût et colère).
Les stimuli visuels sont tirés d’une étude réalisée par Bloom et Friedman (2013) et sélectionnés par un panel d’experts en comportement canin. Avec certitude, nous connaissons l’émotion présente chez l’animal, six photos concernaient des émotions positives et six autres négatives.

Procédure
Sur les réseaux sociaux, nous proposons la participation à cette expérience et sélectionnons à part égale des participants avec et sans de chien. Après avoir rempli la fiche de consentement, nous leur faisons parvenir le questionnaire. Ce dernier présente en détails les consignes de l’étude à l’aide d’une introduction explicative. Un fois l’expérience passée, nous analysons les résultats via le logiciel Excel.
Variables et plans
Plusieurs facteurs principaux systématiques sont en jeu : la présence ou non d’un chien dans le ménage (P2) : présence (p1) VS absence (p2) et le type d’émotions (T2) : positives (t1) VS négatives (t2). Il est question de mesurer, grâce à des scores, l’influence de la présence d’un chien sur la perception des émotions de ce dernier par l’Homme. Nous leur donnons des consignes communes, précises et simples à comprendre. Le temps de réponse est de 10 secondes. Les modalités de passassions (ordre et nombre de questions, durée du temps de réponse) sont les mêmes pour tous. Notre plan d’analyse est le suivant : S12 < P2 > * T2 et notre plan d’expérience est : S12 < P2 > * I6 < T2 >.
Résultats
Effet de la présence d’un chien dans le foyer sur la reconnaissance des émotions positives et négatives

La présence d’un chien améliore les scores de perception des émotions calculés sur six. La moyenne pour les participants ayant un chien (4,67) est supérieure à celle des sujets n’en ayant pas (3,81). La différence est de 0,86 en faveur de la condition présence d’un chien. Il y a donc un effet principal de la présence d’un chien dans le foyer.
Aussi, nous constatons un effet principal du type d’émotions. La valeur moyenne des émotions positives (4,50) est supérieure à celle des émotions négatives (3,98). La différence est de 0,52 en faveur de la condition émotions positives. Les participants reconnaissent mieux les émotions positives que négatives.
Pour les sujets sans animaux, nous avons un écart type de 1,60 pour les émotions positives, mettant en évidence une divergence des avis et un échantillon hétérogène.
Pour finir, l’effet de la présence d’un chien dans le foyer est plus important pour la perception des émotions positives que négatives. Son amplitude change en fonction du type d’émotions. L’effet d’interaction est différent de 0 donc il y a bien une interaction entre les deux facteurs. Les effets intra sont de même signe et les droites ne se croisent pas donc la direction de l’effet reste le même. L’effet d’interaction est de 0,46. Il y a une interaction ordonnée à partir du facteur présence d’un chien dans le foyer (P2).
Discussion
Validation des hypothèses
Nous pouvons valider nos trois hypothèses opérationnelles de départ.
Les personnes possédant un chien détectent mieux les émotions, ceci s’explique par la présence quotidienne canine. Il semble qu’elles soient plus réceptives aux émotions de l’animal à mesure qu’elles l’apprivoisent. La régularité du contact avec un chien facilite la reconnaissance générale des émotions canines. En effet, la longue exposition à un élément et sa prise en compte renforcent la sensibilité à celui-ci.
La population générale reconnait mieux les émotions positives que négatives. Cela s’expliquerait par le fait que les personnes sans animaux sont rarement exposées à des chiens. Lorsque c’est le cas, elles ressentent de la joie et par envie, s’approchent du chien qui manifeste des émotions positives suite à l’affection donnée. Elles auraient donc un vécu exclusivement positif. De plus, sans être en contact avec eux, certaines réactions, comme la tristesse, peuvent être difficilement détectables.
La présence canine augmente la perception des émotions négatives du chien. Ces résultats sont cohérents et s’expliquent par la proximité avec l’animal améliorant la compréhension des ressentis de l’espèce canine. En effet, détecter des émotions négatives chez le chien semble facilité par les habitudes de vie de l’animal et les facteurs environnementaux associés. Le rôle de l’expérience dans l’analyse et la différenciation des émotions est mis en avant.
Wan et al. (2012) confirment nos résultats pour la condition émotions négatives. Ils expliquent que la probabilité de sélectionner correctement la catégorie "craintif" augmente significativement avec l'expérience. Pour la catégorie "heureux", ils ne trouvent pas de variation significative, tandis que nos résultats révèlent cette différence entre la moyenne des sujets ayant un chien (5,04) et ceux n’en ayant pas (3,96). Cette étude mentionne également que les répondants experts s’intéressent majoritairement à la position des oreilles. A l’avenir, il serait intéressant de regarder chez nos participants les stratégies mises en place pour analyser l’image.
Limites
Le faible nombre de participants et l’inégalité de genres ne permettent pas de généraliser les résultats à l’ensemble de la population. De plus, l’étude était centrée exclusivement sur le même chien. Aussi, les images ne montraient que la tête de l’animal, les sujets n’avaient pas la possibilité de regarder la posture du corps, la position de la queue ou l’allure du poil (Bloom & Friedman, 2013). Aussi, la reconnaissance des émotions s’inscrit dans une approche multimodale (De Silva et al., 1997). La modalité visuelle ne permet pas une analyse complète sachant que les chiens communiquent également par des sons (aboiements, gémissements).
Perspectives
Bloom et al. (2021) ont constaté une influence de la race et de la couleur sur la reconnaissance des émotions du chien. Nous pourrions réitérer l’expérience en incluant un large spectre de races de chiens, un échantillon plus large et représentatif de la population générale et des vidéos pour avoir accès à plusieurs modalités. Aussi, une étude dans laquelle des photos de chiens présentées dans des contextes congruents et non congruents pourrait être réalisée. Par exemple, le faciès d’un chien triste dans un contexte qui semble positif, tel qu’une promenade dans un parc, afin de déterminer si le contexte influence la perception de l’émotion chez l’Homme.
Enfin au niveau social, créer des stages de prévention serait une possibilité pour mieux comprendre son animal (ses besoins, son ressenti, sa santé) ou afin d’apprendre à reconnaitre les émotions du chien, détecter un danger, savoir comment réagir et éviter les accidents domestiques mais également diminuer les abandons et la violence des propriétaires engendrés par certaines incompréhensions.
Bibliographie
Albuquerque, N., Guo, K., Wilkinson, A., Savalli, C., Otta, E., & Mills, D. (2016). Dogs recognize dog and human emotions. Biology letters, 12(1), 20150883.
Bloom, T., & Friedman, H. (2013). Classifying dogs’(Canis familiaris) facial expressions from photographs. Behavioural processes, 96, 1-10.
Bloom, T., Trevathan-Minnis, M., Atlas, N., MacDonald, D. A., & Friedman, H. L. (2021). Identifying facial expressions in dogs: A replication and extension study. Behavioural Processes, 186, 104371.
Burgat, F. (1999). Charles Darwin, L'Expression des émotions chez l'homme et les animaux (1872), traduit de l’anglais par les Docteurs Samuel Pozzi et René Benoît pour l’édition de 1890, fac-similé, Paris, éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1998, préfacé par Jacqueline Duvernay-Bolens. Gradhiva: revue d'histoire et d'archives de l'anthropologie, 25(1), 120-122.
Correia-Caeiro, C., Guo, K. & Mills, D.S. Perception of dynamic facial expressions of emotion between dogs and humans. Anim Cogn 23, 465–476 (2020).
De Silva, L. C., Miyasato, T., & Nakatsu, R. (1997, September). Facial emotion recognition using multi-modal information. In Proceedings of ICICS, 1997 International Conference on Information, Communications and Signal Processing. Theme: Trends in Information Systems Engineering and Wireless Multimedia Communications (Cat. (Vol. 1, pp. 397-401). IEEE.
Ferretti, V., & Papaleo, F. (2019). Understanding others: emotion recognition in humans and other animals. Genes, Brain and Behavior, 18(1), e12544.
Leppänen, J. M., & Hietanen, J. K. (2004). Positive facial expressions are recognized faster than negative facial expressions, but why?. Psychological research, 69(1), 22-29.
Pascalis, O., Rotsaert, M., & Want, S. C. (2005). Le développement de la reconnaissance des visages chez l'enfant est-il spécifique?. Enfance, 57(2), 117-136.
Wan, M., Bolger, N., & Champagne, F. A. (2012). Human perception of fear in dogs varies according to experience with dogs. PLoS one, 7(12), e51775.
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